CONSTITUTIONS POLITIQUES

CONSTITUTIONS POLITIQUES
CONSTITUTIONS POLITIQUES

Dès lors qu’il dépasse le stade de l’attroupement temporaire, tout groupement a une constitution. Elle s’extériorise dans la structure de la collectivité et dans l’agencement des rapports qui s’y établissent en fonction de la fin qui est la sienne. Il y a ainsi une constitution de la famille, de l’entreprise, de l’Église. Au point de vue politique, la constitution du groupe est formée des pratiques ou des règles relatives au fondement et à l’exercice du pouvoir.

1. Constitution sociale et constitution politique

La constitution politique peut apparaître comme une superstructure par rapport à la constitution sociale qui forme l’armature du groupe. En effet, toute société a son originalité, son génie propre, ses aptitudes, l’énergie ou l’apathie natives de ses membres, ses dispositions ou ses incapacités d’où résultent sa manière d’être et le type de relations qui unissent les individus qui la composent. La constitution sociale s’enracine plus profondément dans le groupe que la constitution politique. Elle peut même lui survivre lorsque la collectivité a perdu son indépendance politique. Elle présente en outre un caractère de spontanéité que n’atteint pas la constitution politique, souvent artificielle et volontaire par quelques côtés. De ces traits, on a parfois prétendu tirer argument en faveur de la supériorité de la constitution sociale d’un pays sur sa constitution politique. C’est notamment la théorie de Proudhon, dont paradoxalement on retrouve l’écho dans toute la pensée libérale du XIXe siècle. «Je distingue, écrivait Proudhon (Confessions d’un révolutionnaire ), en toute société, deux espèces de constitutions: l’une que j’appelle la constitution sociale, l’autre qui est la constitution politique; la première, intime à l’humanité, libérale, nécessaire [...] et dont le développement consiste surtout à affaiblir et à écourter peu à peu la seconde, essentiellement factice, mécanique, restrictive.» D’où la nécessité de résorber le système politique dans la constitution sociale, «faire périr le gouvernement par la société». Ce propos pouvait être tenu à une époque où une conception optimiste du dynamisme social incitait à penser que le jeu spontané des forces collectives assurerait le progrès du groupe. Mais dès lors que l’on admet que la politique est l’activité par laquelle la société prend en charge son propre destin, il n’est plus possible de voir dans la constitution politique une armature factice.

Le vrai c’est que, si entre constitution sociale et constitution politique il existe d’indéniables et constantes relations puisque le pouvoir que la constitution politique aménage est un produit du groupe, il ne saurait y avoir entre elles d’ordre hiérarchique, car elles n’ont ni le même objet ni la même nature. La constitution sociale se dégage de la manière d’être – entendue dans sa totalité – de la société; la constitution politique ne concerne que l’État. Et tandis que la première est une donnée sur laquelle la volonté des hommes n’a que peu de prise, la seconde apparaît de plus en plus comme le résultat de leur détermination réfléchie.

2. La constitution, acte de volonté du souverain

Ce caractère d’acte de volonté qui s’attache aujourd’hui à la notion de constitution n’est pas apparu d’emblée. Pendant longtemps, l’organisation politique des États était régie par des usages, des coutumes ou des traditions auxquels on accordait autorité sans s’interroger sur leur légitimité. Ainsi en était-il en France de ce qu’on appelait les lois fondamentales du royaume, dont le contenu était imprécis, mais dont il était admis qu’elles liaient le monarque lui-même (cf. A. Lemaire, Les Lois fondamentales de la monarchie française ). Cependant, au fur et à mesure que s’est dégagée l’idée que l’autorité n’était pas extérieure au peuple auquel elle s’imposait mais procédait de son consentement, celui-ci a fait valoir son droit à contrôler la manière dont cette autorité était exercée. Cette prétention a trouvé son expression dans la théorie du pactum subjectionis , contrat de sujétion par lequel, en échange des services que le prince s’engageait à lui rendre, la collectivité reconnaissait son droit au commandement. La Grande Charte d’Angleterre (1215), issue des tractations entre Jean sans Terre et les barons anglais révoltés contre l’arbitraire royal, est l’exemple le plus marquant de cette volonté d’affranchir la notion de constitution de la simple description d’un état de fait. Mais la pensée politique ne s’est pas arrêtée là. Lorsque le concept de souveraineté nationale se fut définitivement affirmé, il apparut que la souveraineté du peuple ne pouvait être satisfaite par un simple accord entre gouvernés et gouvernants sur les conditions dans lesquelles ceux-ci exerceraient leur prérogative. Elle impliquait que l’ordre politique tout entier fût remis en cause et que, sur une table rase, le peuple établisse à la fois le fondement et les modalités d’exercice du pouvoir. Expressément formulée par les colonies américaines lors de leur indépendance, reprise par les constituants de Philadelphie en 1787 dans le préambule de la Charte qu’ils venaient d’élaborer («Nous, le peuple des États-Unis [...] nous décrétons et nous établissons cette constitution pour les États-Unis d’Amérique»), cette conception fut consacrée en France par la Révolution, le jour où les États généraux, réunis au mieux pour amender l’ordre politique ancien, se proclamèrent Assemblée constituante, libre, comme la nation elle-même, de fixer les bases de l’ordre nouveau.

Désormais, il était clair que la constitution n’est pas la description de pratiques plus ou moins séculaires, ce n’est même pas un ensemble d’institutions auxquelles un consentement tacite du peuple conférait une valeur présumée, ce n’est pas davantage la traduction en règles juridiques d’un état de fait ancien; c’est un acte volontaire et réfléchi par lequel le souverain définit le pouvoir qui s’inscrit dans l’institution étatique, fonde de ce fait l’État et la puissance qui s’exercera en son nom et détermine les conditions dans lesquelles les gouvernements seront habilités à user de cette puissance et les gouvernés tenus de s’y soumettre. Et c’est pour que cet acte soit entouré de plus de solennité et que son contenu soit exempt de toute équivoque que la pratique s’est introduite de rédiger les constitutions. Sans doute existe-t-il une exception notable à la rédaction: la Constitution britannique étant, pour une bonne part de ses dispositions, demeurée coutumière. Mais cette forme, qui pourrait passer pour archaïque, ne doit pas faire illusion. Ce n’est pas en tant que pratiques datant de l’âge des Stuarts ou des Tudors que s’imposent les règles constitutionnelles; c’est en tant qu’elles sont valorisées par l’opinion très actuelle du peuple anglais. C’est elle qui définit la portée des «conventions de la Constitution» qui, pour être non écrites, n’en délimitent pas moins de façon précise ce que peuvent faire les gouvernants et ce qui leur est interdit (cf. Jennings, The Law and the Constitution ).

En dépit des critiques de l’école traditionaliste (Burke, J. de Maistre, de Bonald), raillant la prétention des hommes à «faire une constitution comme un horloger fait une montre», le mouvement de rédaction des constitutions s’est développé dans l’Europe entière au cours du XIXe siècle, et de là, en Amérique latine. Accompagnant le renversement des monarchies absolues, il s’est exprimé dans le constitutionnalisme, c’est-à-dire dans les régimes politiques où l’autorité est limitée par des règles préétablies, ce dont rend compte l’expression «monarchie constitutionnelle». Et ce n’est pas par hasard que ce mouvement a coïncidé avec l’expansion des idées libérales. C’est parce que la constitution, par le fait même qu’elle est le statut du pouvoir, est nécessairement un instrument de liberté. Les Polonais ne s’y trompaient pas qui faisaient la révolution pour avoir une constitution.

3. Le statut du pouvoir

Si, de prime abord, toute constitution apparaît comme une description des mécanismes gouvernementaux, ce serait une erreur de considérer que sa raison d’être se borne à un agencement d’organes et de compétences. En réalité, la constitution a une portée beaucoup plus profonde: elle situe le pouvoir sur un plan tel que les gouvernants en ont l’exercice, mais non pas la propriété. Ils en sont les instruments, non les maîtres. Mais où est le siège de ce pouvoir que les gouvernants ne font que mettre en œuvre? Dans l’État.

La constitution a donc implicitement pour objet d’écarter le régime du pouvoir individualisé (celui où les chefs réunissent en leur personne, en raison de qualités qui leur sont propres, toutes les prérogatives du pouvoir) et de lui substituer le régime du pouvoir institutionnalisé où le pouvoir a pour titulaire l’institution étatique. Cette dissociation que réalise la constitution entre la propriété du pouvoir et son exercice ne présente pas qu’un intérêt théorique. Concrètement, elle a pour conséquence de subordonner les gouvernants au respect de leur statut constitutionnel, c’est-à-dire de les assujettir à la loi de leur fonction. Leur situation juridique procède de l’idée qu’ils commandent, non en vertu d’une vocation ou d’une qualité inhérente à leur personne, mais en raison d’un titre dont ils ont été investis conformément à la constitution.

Il suit de là, d’une part, que nul ne peut prétendre exercer le pouvoir, quelle que soit la puissance dont, en fait, le prétendant dispose, s’il n’y est appelé selon la procédure constitutionnelle d’investiture; d’autre part, que les gouvernants n’ont aucun droit subjectif à l’exercice de l’autorité. Ils ont reçu compétence pour accomplir certains actes. Or qui dit compétence sous-entend le but en vue duquel elle doit être utilisée et il va de soi que ce but ne peut être qu’un intérêt collectif et non une satisfaction personnelle de ceux qui gouvernent. Enfin, dès lors qu’ils ne sont que les agents d’une puissance que leur délègue la constitution, leur volonté n’a comme telle aucune valeur juridique. Elle n’est juridiquement obligatoire que dans la mesure où elle peut être imputée à l’État lui-même, c’est-à-dire lorsqu’elle s’est manifestée dans les conditions prévues par la règle constitutionnelle. Toutes ces conséquences, logiquement impliquées par l’existence d’une constitution, font qu’elle a toujours été considérée comme la condition de l’État de droit, c’est-à-dire d’un système politique d’où est exclu l’arbitraire des personnalités dirigeantes.

4. Établissement et révision des constitutions

Étant donné d’une part l’importance politique des dispositions constitutionnelles qui définissent la structure du régime, d’autre part leur place dans la hiérarchie des règles du droit qui en fait le fondement de la totalité de l’ordre juridique en vigueur dans l’État, il est admis que la constitution ne peut qu’être l’œuvre d’un pouvoir doté de l’autorité suprême: le pouvoir constituant. Ce pouvoir peut apparaître de deux façons, soit à titre originaire, soit aménagé par la constitution elle-même.

Le pouvoir constituant originaire intervient lorsqu’il n’y a pas ou qu’il n’y a plus de constitution en vigueur, c’est-à-dire lorsqu’il y a lieu de donner une constitution à un État nouveau (hypothèse fréquente lors de la décolonisation) ou lorsqu’il s’agit d’établir les institutions d’un État dont la Constitution a été révolutionnairement emportée. La question de savoir à qui appartient ce pouvoir originaire peut être indéfiniment débattue sur le plan théorique, puisque, ne pouvant par hypothèse être résolue par référence aux règles constitutives de l’ordre juridique établi, elle est tributaire des préférences idéologiques de chacun. Historiquement toutefois, l’hésitation n’est pas de mise: le pouvoir constituant appartient à la force politique capable d’imposer à la collectivité le type d’organisation politico-sociale qui lui paraît désirable. Comme il est aujourd’hui improbable qu’une telle organisation soit viable sans l’adhésion résignée ou enthousiaste du groupe, on attribue au peuple souverain la maîtrise du pouvoir constituant. Il l’exerce soit en ratifiant par référendum un texte élaboré par un gouvernement de fait provisoire, soit en élisant ses représentants à une convention constituante.

Le pouvoir constituant apparaît également sous la forme juridiquement organisée que lui donne la constitution en déterminant l’organe compétent pour l’exercer et les modalités de son fonctionnement. Il s’agit alors de ce que les textes appellent le pouvoir de révision. C’est un pouvoir institué , en ce sens qu’à la différence du pouvoir originaire il fait partie de l’organisation étatique. Et c’est précisément parce qu’il est mis en œuvre par un organe du système que la question se pose de savoir s’il est compétent pour élaborer une constitution entièrement nouvelle ou s’il ne doit pas se limiter à des modifications partielles. Le droit comparé comporte des réponses contradictoires, car certaines constitutions, celle de la Confédération helvétique, par exemple, envisagent formellement la possibilité d’une révision, soit totale, soit partielle. Il semble néanmoins qu’il y aurait abus de pouvoir, de la part de l’organe de révision, à adopter un nouveau texte d’un esprit totalement différent de celui dont s’inspirait la constitution qu’il est appelé à remplacer. Pour à la fois écarter ce grief et éviter une rupture de la continuité constitutionnelle, un procédé est parfois utilisé qui consiste à modifier seulement les règles relatives à la révision: à l’organe anciennement prévu se substitue un organe nouveau qui sera chargé de faire la constitution. C’est ce qui s’est passé en France au mois de juin 1958 lorsque le Parlement, organe de révision d’après la Constitution de 1946, a transféré sa compétence à un organe constituant nouveau: le gouvernement présidé par le général de Gaulle.

Quant aux procédures de révision, elles sont extrêmement variées. Tantôt la constitution peut être modifiée comme une loi ordinaire, on dit qu’il y a alors une constitution souple, tantôt il y a lieu à mise en œuvre d’une procédure spéciale: il y a constitution rigide. Mais cette rigidité comporte des degrés différents. Très souvent c’est au Parlement qu’il incombe de procéder à la révision, mais il devra, ou bien avoir été préalablement renouvelé par des élections (Belgique, États scandinaves), ou bien adopter le texte à une majorité renforcée. Il est fréquent aussi que les modifications constitutionnelles élaborées par le législateur ordinaire ne deviennent définitives qu’après leur adoption par référendum. C’est le cas en France, dans la mesure du moins où le président de la République en décide ainsi. Parfois il faut avoir recours à une assemblée spécialement élue pour faire œuvre constituante. C’est le procédé de la convention utilisé dans certains États de l’Union américaine. Il arrive même que le peuple puisse procéder seul à la réforme. C’est le cas en Suisse où, pour les révisions partielles, le peuple, disposant de l’initiative, rédige un projet qui sera directement soumis au suffrage de l’ensemble des citoyens.

5. La suprématie de la constitution et sa sanction

Si, très généralement, le droit constitutionnel prescrit des procédures plus difficiles pour modifier la constitution que pour édicter ou abroger les lois ordinaires, c’est parce que celle-là est située au sommet de la pyramide des règles juridiques dont celles-ci ne sont qu’un degré. La suprématie de la constitution tient ainsi au fait que, définissant l’autorité légale et organisant des compétences, elle est nécessairement supérieure aux gouvernants qui en sont investis. Ils ne peuvent aller à l’encontre de ses dispositions sans se dépouiller du même coup de leur titre juridique. S’agissant de savoir si le prince ou une assemblée pourraient modifier les lois fondamentales de l’État, Vattel répondait déjà: «C’est de la constitution que ces législateurs tiennent leurs pouvoirs. Comment pourraient-ils la changer sans détruire le fondement de leur autorité?»

Mais la suprématie de la constitution n’est pas commandée seulement par la logique juridique. Elle s’impose aussi parce que le souverain a inscrit, soit dans le texte de la Constitution, soit dans la Déclaration des droits ou le préambule qui la précède, les principes selon lesquels il entend que s’exerce l’activité politique. Les constitutions démocratiques notamment énoncent les droits et libertés auxquels les gouvernants ne peuvent porter atteinte. Le problème est alors de garantir l’intangibilité de la loi fondamentale à l’encontre des entreprises du pouvoir. Sa solution implique l’aménagement d’un contrôle de la constitutionnalité des actes des différents organes de l’État. Théoriquement, ce contrôle ne soulève aucune difficulté: la constitution étant la règle supérieure, les décisions de toutes les autorités publiques doivent la respecter sous peine de nullité. Politiquement cependant, il arrive que la susceptibilité des assemblées législatives qui se réclament de la volonté du peuple qui les a élues, les conduise à se refuser à tout examen de la constitutionnalité des lois qu’elles ont adoptées. C’est ainsi qu’en France le principe selon lequel la loi est l’expression de la volonté générale a fait obstacle à tout contrôle jusqu’en 1946 où, pour la première fois, il fut introduit, de façon d’ailleurs tout à fait anodine, dans les institutions françaises.

D’autre part, une fois admis le principe du contrôle, il reste à savoir par qui il sera exercé. Le confier à un organe politique, c’est risquer de voir celui-ci se prononcer davantage en raison de ses préférences idéologiques que pour faire prévaloir la règle supérieure. Faire appel aux juges, c’est ériger le pouvoir judiciaire en instance maîtresse de toute l’activité politique dans l’État. C’est cependant ce dernier procédé qui est généralement adopté. La délicatesse de son fonctionnement explique toutefois que, si les États où il est institué sont nombreux, rares sont ceux où, pratiquement, il remplit correctement sa fonction. En fait il n’y a guère qu’aux États-Unis, en Allemagne, et dans une mesure moindre (en raison des controverses politiques qu’il soulève) en Italie et en France, que le contrôle de la constitutionnalité oppose un obstacle sérieux à l’hégémonie du législateur et aux activités inconstitutionnelles des autorités étatiques. Ce n’est pas dire, d’ailleurs, que cette tutelle juridictionnelle soit toujours supportée sans impatience. Il est inévitable, en effet, qu’ayant à apprécier la conformité d’une décision à la constitution, le juge fasse prévaloir son interprétation subjective de la philosophie générale dont celle-ci s’inspire. Ainsi, aux États-Unis, la Cour suprême a tenté d’opposer à la politique interventionniste du New Deal le libéralisme économique qui allait de soi au moment où fut élaborée la Constitution fédérale. En Allemagne, la Cour constitutionnelle de Karlsruhe s’est instaurée en garante de la démocratie pluraliste et libérale de type occidental où la Charte de Bonn a puisé son inspiration. Décider que telle ou telle mesure est ou non en accord avec des principes de ce genre ne va pas sans qu’interviennent les convictions politiques et sociales du juge.

C’est pourquoi celui qui est appelé à se prononcer n’est pas le juge ordinaire, mais une juridiction spéciale dont le recrutement offre le maximum de garanties d’objectivité (Allemagne, France, Italie). Ou bien, si les tribunaux sont autorisés à statuer, comme c’est le cas aux États-Unis, du moins ne pourront-ils être saisis que par voie d’exception, ce qui les amènera, non pas à annuler la loi, mais simplement à ne pas l’appliquer en l’espèce s’ils l’estiment inconstitutionnelle. En outre, leurs jugements seront tributaires de l’appréciation d’une instance supérieure (aux États-Unis, la Cour suprême) qui sera en définitive l’unique interprète de la constitution. Bien entendu, l’efficacité du contrôle dépend de l’ampleur de son ouverture. Aux États-Unis, tout individu auquel on prétend appliquer la loi peut exciper de son inconstitutionnalité devant le juge saisi de l’infraction. En France, le Conseil constitutionnel peut être saisi par le président de la République, le Premier ministre ou les présidents des assemblées législatives et, depuis 1974, par soixante parlementaires. En Allemagne, la qualité pour former le recours devant le Tribunal constitutionnel dépend de l’objet de la requête.

Quelle que soit la valeur des sanctions organisées pour assurer le respect de la constitution, l’ultime garantie de celle-ci dépend de l’attachement que lui portent les citoyens. Or force est de reconnaître que l’abus des constitutions a terni leur prestige. Lorsqu’elles deviennent des publications périodiques, les individus sont peu portés à y voir, comme le voulaient les hommes de la Révolution, le tabernacle de leurs droits. Leur autorité ne survit pas à l’instabilité politique qu’elles ont pour objet de prévenir. Si les États-Unis peuvent se flatter d’avoir la doyenne des constitutions actuellement en vigueur (elle date de 1787), c’est parce qu’elle est davantage un symbole de l’unité américaine qu’un recueil de prescriptions impératives. Ses dispositions sont suffisamment larges et imprécises pour s’être accommodées d’un système de gouvernement que ses auteurs n’avaient certainement ni prévu, ni voulu. D’autre part, une pratique inaugurée après la Première Guerre mondiale et considérablement développée depuis lors, surtout dans les jeunes États, tend à faire des constitutions un programme d’action social et économique. Sous le nom de droits sociaux, on y trouve énoncés des principes dont la situation financière et culturelle du pays ne permet pas la réalisation. D’où l’impatience des gouvernés déçus par des promesses non tenues, et d’où aussi la tentation pour les gouvernants de suspendre la constitution qui leur paraît une invitation à la résistance. Enfin et surtout, on doit considérer que la valeur des constitutions ne fut jamais aussi incontestée que lorsqu’on pouvait y voir une garantie contre l’arbitraire ou la fantaisie des gouvernants. Par elles, le peuple assurait ses droits et libertés contre un pouvoir qui lui était extérieur. Mais à partir du moment où la souveraineté populaire est interprétée comme impliquant la primauté de la volonté des masses sur toute règle préétablie, la constitution ne peut apparaître au mieux que comme un règlement précaire et révocable du fonctionnement des institutions. La constitution est un statut que le souverain impose aux agents d’exercice du pouvoir. Lorsque le souverain gouverne lui-même ou lorsque les maîtres qu’il accepte sont assez habiles pour le persuader que c’est lui qui commande par leur entremise, on ne voit pas comment, dans une telle confusion, une règle de droit pourrait prévaloir contre des exigences politiques. Aussi doit-on constater que les constitutions ne sont vraiment appliquées que dans les moments où elles sont le moins utiles.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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